“Si Ingrid Jonker (1933-1965) fut même de son vivant reconnue dans son pays, l’Afrique du Sud, elle fut longtemps, et le demeure encore trop souvent, méconnue hors de ses frontières. C’est à Nelson Mandela que revient le mérite d’y avoir remédié, lors de son discours d’investiture devant le parlement sud-africain en 1994, où, à cette occasion exceptionnelle, il lut le désormais célèbre poème, composé plus de trente ans plus tôt, «L’enfant abattu par des soldats à Nyanga» (ci-présent dans De fumée et d’ocre), l’un des témoignages les plus bouleversants qu’il nous fut donné de l’horreur de l’Apartheid.
C’est dans ce contexte de renouveau et de reconstruction politique, alors qu’il se devait cette fois d’être mis fin au régime de l’Apartheid, que beaucoup situent encore la poétesse Ingrid Jonker. Cependant, à trop vouloir forcer l’engagement de sa poésie (comme à le faire de toute poésie), on risque fort de manquer ce qui plus décisivement la fonde ; ainsi ce poème s’inscrit-il dans une plus large production où l’intime se mêle au politique, cela à la seule condition du poème. Sans doute faut-il donc le souligner, Ingrid Jonker est une poétesse à la profondeur ignorée, qui a non seulement marqué la modernité sud-africaine mais aussi, à des milliers de kilomètres, s’est inscrite dans une lignée poétique qui la rapproche notamment, libre à chacun d’y songer, de Sylvia Plath (comme elle, Ingrid Jonker engage la poésie sur une voie, parmi d’autres possibles, importante)… De révolte et de liberté, son cri puise des «abysses de l’esprit» sa vérité.”
extrait de la postface