|
Nicolas Gogol (1809-1852) a vingt-cinq ans lorsqu’il entreprend d’écrire la nouvelle Pages du Journal d’un fou (selon le titre original qu’il lui donna, ici restitué). Cette prose parut pour la première fois un an après sa rédaction, en 1835. Écrite à la première personne, elle se présente sous la forme de pages, semble-t-il retrouvées, d’un journal intime tenu par un petit fonctionnaire pétersbourgeois de quarante-deux ans dont le nom complet – Aksenti Ivanovitch Poprichtchine – ne nous est révélé qu’à la fin. On y voit, entre drôlerie et réalité des plus tragiques, une éblouissante mise en lumière de l’évolution de la folie (et du sens qu’elle donne au réel), allant du 3 octobre d’une année non spécifiée à une date pour le moins délirante, le narrateur ayant perdu jusqu’à la notion du temps.
Gogol est le premier, du moins dans la littérature russe, à avoir ainsi donné vie aux « petites gens », et ouvert la porte à la cohorte des invisibles qui peuplent les villes. Le monde, sans bonté, se refusant au sens que la folie lui donne, apparaît lui-même fou, grotesque, sinon comme chez Kafka, absurde.
Dostoïevski, qui lui vouait une grande admiration, aurait dit : « Nous sommes tous sortis du Manteau de Gogol ! » Et avec Andreï Biély, qui lui consacra un ouvrage en 1934, on peut dire qu’il a élevé la prose au rang de la poésie.
|